Baigneuse au soleil 2
Avec une amie d’atelier nous avions bougrement envie d’aller à Carrare pour enfin sentir ce monde merveilleux où tout n’est que montagnes de marbre. Après de longues recherches nous jetons notre dévolu sur un atelier avec hébergement et stage de 2 semaines … et nous partons. Les prospectus montraient clairement des vues des carrières taillées dans la montagne, laquelle d'année en année diminuait à vue d'oeil.
C’est un long voyage en voiture en partant de Paris ; il est très compliqué mais il nous fallait un véhicule pour voir du pays et surtout rapporter du marbre et nos œuvres. Avec la mini Cooper cela n'avait rien de très évident mais avec la foi.
Arrivés sur place, à flanc de montagne, au dessus de la petite ville de Carrare qui abrite plein d’ateliers reproduisant des œuvres antiques ou des commandes, nous trouvons de part et d’autre du routin 2 grandes bâtisses. L’une pour l’hébergement, l’autre pour l’enseignant et les expositions. L’endroit était idéal au mois de juillet et, bien que sur le parallèle de Marseille, la température était agréable, régulée par la montagne et la proximité de la mer. Accueil chaleureux et enthousiaste de l'enseignant parmi un groupe en formation assez cosmopolite.
Alors que les Toscans sont travailleurs et pas blagueurs pour 2 sous, notre enseignant un Syrien, exubérant, avait toujours le sourire, un vrai boute-en-train et comme personne ne voulait le préparer, il "s’y collait" à faire le café, et criait "Cafêê pronto ! " (pronto =prêt). Tout était impeccablement propre et bien agencé car les promoteurs étaient suisse-allemands. Il y avait même une salle de détente-cafêê-repas/collation, et une cuisine tout équipée pour faire le frichti.
Nous avons à disposition des sellettes, les outils à main, marteau, ciseau, gradine, chasse et pointe - que les gens du cru appellent scùbia et non punta pour se singulariser - ainsi qu'un bloc de marbre dont nous pouvions choisir la taille et la forme. Un vrai bonheur !
Alors avec comme modèle la petite argile de 1998 (ci-joint) j’attaque un morceau de taille raisonnable. Evidemment il n'y a à disposition que du marbre de Carrare, légèrement gris et veiné. Le blanc de blanc, le "statuario" est presque introuvable. Et comme les carrières ne doivent plus être faites qu'en profondeur pour conserver la forme des montagnes, le cœur de celles-ci n'est constitué que de marbre un peu moins beau ; par contre il est très apprécié des sculpteurs car sans faille, plus dur et bien homogène.
Le stage durait 14 jours ce qui laissait le temps de finaliser une pièce avec socle, et même de visiter les magasins d’outillage. Les outils fabriqués dans la région y sont d’excellente qualité et à des prix dérisoires. Notre Syrien nous emmènera faire des achats d'outils classiques et diamantés qui, pour certains étaient introuvables en France, de plus mieux adaptés. Parmi les outils nous apprenons à utiliser, pour l'abrasion, des débris de meule achetés au poids. Technique économique, efficace et supérieure aux outils rotatifs qui défoncent la matière sans contrôle.
L'ouvrage avançait très vite même avec ces outils archaïques
L'ambiance de notre équipe cosmopolite était excellente entre Syriens, Allemande, Suisse, Autrichienne, Italien et Français. Quand je dis Italien il s'agit en fait d'un élève sicilien de Beaux-Arts qui ne travaillait pour ainsi dire jamais, qui avait de beaux cheveux noirs jusqu'aux reins et qui en en perdant un seul me permettait de le suivre à la trace jusqu'à la salle d'eau, ce qui avait le don de m'exaspérer. Ma copine était un peu perdue dans cet amalgame de langues, ne parlant que l'anglais qui n'était pas d'usage ici. Notre aire de travail était très aéré sous auvent de toile, lumineux sans exagération, et calme malgré la circulation incessante des camions sur le routin.
Les Toscans du coin vivent de plusieurs choses toutes rattachées à une sorte de tourisme marbrier. Ils fournissent du marbre en tout volume de toute dimension, reproduisent selon l'antique ou la maquette que vous fournissez, préparent le transport de votre marbre peu importe sous quelle forme. En effet des sculpteurs vivent à mi-temps à Carrare, mi-temps chez eux en Europe nordique ou en Amérique ou encore au Japon, et viennent donc avec leur 30-tonnes. Et les 30-tonnes quand ils partent sont pleins à craquer. Dans ce lieu on vit marbre, avec le marbre, par le marbre, pour le marbre. C'en est une religion.
Le vendredi pour nous changer les idées, pour relâcher la tension aussi, le moniteur nous emmène en promenade d'abord dans la montagne vers une sorte de musée en plein air où sont exposées des sculptures en taille réelle faites par des instructeurs, un homme de chantier encordé à un roc haut de 5 mètres détachant un bloc à l'ancienne, un attelage de bœufs sous joug à la charrue qui était son œuvre et bien d'autres.
Puis au cours de nos pérégrinations nous visitons une carrière dans la montagne. Nous nous enfonçons dans le tunnel d'une galerie d'extraction. La camionnette passait juste et l'atmosphère devenait de plus en plus oppressante en raison de cette sensation de claustrophobie. Au bout de cinquante mètres dans un brouillard tombant en pluie fine enfin nous arrivons aux essuie-glaces dans une salle immense avec des piliers de marbre et des puits d'extraction de part et d'autre, puis plus loin nous atteignons la fin du chantier haut presque comme une cathédrale terminée par un trou béant. Des hommes s'affairent avec des engins , des scieuses et des câbles de découpe. Dans une ambiance fantasmagorique, les bruits sont étouffés par le brouillard, et malgré la ventilation l'air manquait, l'atmosphère atteignait une humidité supérieure à 110% qui tombait en pluie +/- fine. Il faisait même froid.
Le marbre vient du monde entier pour y être débité en plaques donc multicolores, et les chantiers ou les ateliers de découpe utilisent des moyens ultra sophistiqués aussi bien que d'archaïques câbles munis de manchons sur lesquels sont agglutinés des particules de diamant. Et ces câbles sont entrainés par un inextricable réseau de poulies
Le samedi, repos si nous voulons … mon amie avait en tête de faire fondre une pièce en bronze. Dans un laps de temps aussi court seule une femme peut imaginer ça. Donc nous partons vers le Sud, car Carrare est la ville la plus au Nord de la chaîne des Apennins, sur la riviera Apuane. Viens ensuite Massa également carrière, puis Pietrasanta qui ressemble plutôt à un immense entrepôt de blocs taillés de dimensions gigantesques. Spectacle désolant vu de l'autoroute ou de la nationale parallèle. Des sculpteurs y travaillent ou font dégrossir ou même sculpter par des méthodes aussi sophistiquées que bruyantes.
Arrive enfin une petite ville où nous pouvons acheter des outils et cherchons un interlocuteur pour notre chemin. Pas âme qui vive en début d'après-midi sauf un resplendissant carabinier. Mon amie demande dans un anglais approximatif où trouver un fondeur et lui en un français impeccable nous indique un sentier chaotique le long d'une voie ferrée. Et tout au bout Ô merveille une fonderie importante signalée par une statue de Botero. Le patron nous reçoit aimablement et discute en français pendant que je m'émerveille devant les immenses statues de Botero (signe de la qualité de la fonderie) et aussi des patineurs à l'œuvre sur de grandes pièces. Il aurait été possible de faire faire une fonte en 4 jours. En nous assurant qu'il ne faisait pas de copie - ce qui arrive souvent en Italie -. Pour la rapidité nous sommes loin des grands fondeurs français.
Le dimanche, repos … la voiture nous conduit lors de nos tribulations trop longues à raconter, à Pise puis à Florence et dans ses musées et églises en pleine restauration. Que ce soit dans ces villes autant que les petits villages partout fleurit la mosaïque et marqueterie de marbre multicolore.
Je n'avais pas ma carte d'identité sinon vu mon âge je n'aurais pas payé l'entrée des musées ni fait la queue.
Ce séjour a été un véritable enchantement ... et tous ceux qui y sont allés un jour pour sculpter attrapent le virus et y retournent.
Voici un prospectus retrouvé qui nous avait conduit à Carrare.
Nous voyons des installations archaïques alors opérationnelles avec poulies et filins pour détacher les blocs de la montagne (ces filins-ci ne sont pas munis de bagues diamantées).
D'autres installations de débitage et méthodes de chargement.